COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES 

3ème chambre


ARRÊT N° 166

DU 08 MARS 2002

R.G. N° 01/01780 

AFFAIRE :

1/ S.A. GROUPE CMC FINANCE
2/ Claude AAAAAA 

C/

Société S.F.R.

Appel d'un jugement rendu le 05 Décembre 2000 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE (1ère chambre C) 

Expédition exécutoire 

Expédition

Copie

délivrées le : 0 8 /0 3/2002

à :

SCP DEBRAY - CHEMIN SCP JULLIEN-LECHARNY ROL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT MARS DEUX MILLE DEUX,

La cour d'appel de VERSAILLES, 3ème chambre,
a rendu l'arrêt CONTRADICTOIRE suivant,
prononcé en audience publique,
La cause ayant été débattue à l'audience publique du 04 Février 2002, DEVANT : Madame Marie-Christine LE BOURSICOT, conseiller chargé du rapport, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés, en application de l'article 786 du nouveau code de procédure civile,
assisté de Madame Michèle MOREAU, greffier,
Le magistrat rapporteur en a rendu compte à la cour, dans son délibéré, celle-ci étant composée de

Madame Dominique GUIRIMAND, président,
Madame Marie-Christine LE BOURSICOT, conseiller,
Monsieur François GRANDPIERRE, conseiller,
et ces mêmes magistrats en ayant délibéré conformément à la loi,

DANS L'AFFAIRE,
ENTRE:

1/ S.A. GROUPE CMC FINANCE
4 rue de Castiglione
75001 PARIS

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2/ Monsieur Claude AAAAAA
xx rue Yyyyyyy
75016 PARIS

CONCLUANT par la SCP DEBRAY - CHEMIN, avoués près la cour d'appel de VERSAILLES

PLAIDANT par maître Victor RANIERI, avocat au barreau de NANTERRE

APPELANTS

ET

Société S.F.R. (SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE)
Tour Séquoia
1 Place Carpeaux
92915 PARIS LA DEFENSE CEDEX
agissant poursuites et diligences de son président du conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège

CONCLUANT par la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, avoués près la cour d'appel de VERSAILLES

PLAIDANT par maître Claude RYCHTER, avocat au barreau de PARIS (D.357)

INTIMEE

Le 8 février 2001, la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA ont interjeté appel d'un jugement du tribunal de grande instance de NANTERRE en date du 5 décembre 2000, qui les a déboutés de leurs demandes respectives de condamnation de la société S.F.R. à leur payer à chacun d'eux la somme de 152.449,02 euros (1.000.000,00 francs) à titre de dommages-intérêts et celle de 7.622,45 euros (50.000,00 francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi que de publication du jugement à intervenir dans trois quotidiens de tirage national aux frais de la société S.F.R., le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Ils exposent que monsieur AAAAAA, ès qualités de P.D.G. de la société GROUPE CMC FINANCE, a souscrit au nom de cette dernière, un contrat d'abonnement téléphonique auprès de la société S.F.R., le 20 mai 1995 ; que par courrier du 23 septembre 1996 adressé au siège de sa cliente, mais en parfaite violation de ses obligations contractuelles, la société S.F.R. a fait parvenir une facture détaillée des communications de la société GROUPE CMC FINANCE pour la période du 10 août 1996 au 19 septembre 1996, où figuraient l'intégralité des 8 chiffres composant les numéros de téléphone appelés ; qu'il est permis, sous toutes réserves, d'émettre l'hypothèse que la demande modificative avait été faite par madame Chantal BBBBBB, épouse de monsieur Claude AAAAAA, laquelle a pu avoir accès à des informations confidentielles contenues dans ce listing ; que c'est à la suite de la communication de ces documents que madame Chantal AAAAAA a introduit une procédure de divorce pour faute, convaincue par les éléments portés à sa connaissance des faits adultères de son mari, lequel a été alors contraint d'accepter des concessions exorbitantes sur le plan patrimonial ; que la lecture du jugement de divorce rendu le 3 juin 1998 par le tribunal de grande instance de PARIS permet de mesurer l'ampleur de son préjudice financier ; qu'en ce qui concerne son préjudice moral, ce sont 18 années de mariage qui ont été saccagées du fait de la dénonciation par la société S.F.R. d'informations de nature confidentielle ; que sur le plan professionnel, la société GROUPE CMC FINANCE a subi la perte d'une partie de sa clientèle, ainsi que les résultats comptables le confirment ; que l'essor de cette société a été totalement stoppé.

Les appelants soutiennent que la société S.F.R. a commis des fautes, contractuelle à l'égard de la société GROUPE CMC FINANCE et délictuelle à l'égard de monsieur AAAAAA, consistant à diffuser des informations confidentielles, sans exiger de son correspondant qu'il confirme sa demande par écrit et vérifier que cette demande émanait du titulaire du contrat ou d'une personne habilitée ; que selon la COMMISSION NATIONALE INFORMATIQUE ET LIBERTES, la communication des numéros appelés à partir de la ligne téléphonique ne saurait être faite à l'abonné que sur sa demande expresse ; que cette faute a entraîné pour la société GROUPE CMC FINANCE un préjudice commercial ; qu'en effet, ses principaux clients n'ont pas manqué de lui reprocher de ne pas les garantir d'une protection suffisante et de n'avoir pas veillé à la confidentialité des transactions, qui conditionnait la pérennité de leurs relations contractuelles.

Ils ajoutent que la société S.F.R. ne peut affirmer que madame Chantal BBBBBB ait été l'auteur de la demande de modification du contrat ; que la communication d'une facturation détaillée constitue une modification des conditions d'exécution du contrat, laquelle ne pouvait être demandée que par le président-directeur-général de la société et non par un administrateur ou un salarié non habilité ; que les informations diffusées n'étaient pas destinées à l'abonnée, mais à servir des intérêts privés particuliers et partisans ; qu'aucune disposition légale n'impose l'établissement d'une facture détaillée.

Ils demandent à la cour de :
- débouter la société S.F.R. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Vu l'article 9 du code civil et la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés,

- les déclarer recevables et fondés en leur appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,
- condamner la société S.F.R. à payer à la S.A. GROUPE CMC FINANCE la somme de 0,15 euro (1,00 franc) à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens de tirage national aux frais de la société S.F.R.,

- condamner la société S.F.R. à leur payer la somme de 7.622,45 euros (50.000,00 francs) en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

-la condamner à tous les dépens

La société S.F.R. fait valoir que la facturation détaillée lui a été demandée par l'intermédiaire d'une salariée de la société GROUPE CMC FRANCE, dans l'exercice de ses fonctions, laquelle à l'époque était de surcroît administrateur de la société ; qu'elle ne pouvait refuser cette demande de facturation détaillée ; que par application des dispositions de l'article L 441-3 du code du commerce, reprenant celles applicables à l'époque de l'ordonnance du 1er décembre 1986, elle pouvait prendre elle-même l'initiative d'envoyer à ses abonnés la facture détaillée, dont le coût n'était pas facturé, afin de justifier la date de la prestation de service accomplie, de sa durée et de l'appel composé et partant de la facture à régler ; qu'elle n'a donc pas commis de faute quant aux obligations du contrat ; qu'en ce qui concerne monsieur AAAAAA, il invoque sa propre faute ; que le divorce des époux AAAAAA a été prononcé sur requête conjointe ; que le mari n'a pas été condamné à verser une prestation compensatoire, ni des dommages-intérêts et que les actions de son épouse au sein de sa société lui ont été cédées pour le franc symbolique ; que le préjudice, s'il existait, trouverait son origine dans les faits fautifs commis par monsieur AAAAAA ; qu'ainsi la preuve n'est pas rapportée ni de la faute qu'elle aurait commise, ni du préjudice de chacun des appelants, ni du lien entre la faute invoquée et le préjudice réclamé.

Elle demande à la cour de :
- dire la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA mal fondés en leur appel,

- les en débouter,

- dire qu'elle n'a pas violé les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, mais a respecté ses obligations contractuelles.

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner in solidum la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA à lui payer la somme de 2.286,74 euros (15.000,00 francs) en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamner la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été signée le 10 janvier 2002 et l'affaire plaidée à l'audience du 4 février 2002.

SUR CE, LA COUR

1) SUR LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DE LA SOCIETE S.F.R. VIS-A-VIS DE LA SOCIETE GROUPE CMC FINANCE

Considérant que le contrat d'abonnement téléphonique du 20 mai 1995 a été souscrit par monsieur AAAAAA, ès qualités de président-directeur-général de la société anonyme GROUPE CMC FINANCE ; que la case facturation détaillée n'a pas été cochée ;

Considérant que dans leur assignation introductive d'instance, la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA ont déclaré que la demande de facturation détaillée avait été faite par madame Chantal BBBBBB épouse de monsieur AAAAAA, ce qui n'a pas été dénié par la société S.F.R., de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a retenu ce fait comme constant entre les parties ; qu'en tout état de cause, il n'est pas allégué par les appelants que l'auteur de cette demande serait une personne extérieure à la société, qui n'aurait pas été son salarié ; que d'ailleurs, les factures ont été adressées comme les précédentes au siège social de la société, lieu de domiciliation du titulaire du compte au contrat ;

Considérant que la demande de facturation détaillée est une modification mineure du contrat, s'interprétant généralement au bénéfice de l'abonné, puisqu'elle lui permet de connaître le détail des prestations et leur coût ; que ce type de modification ne requiert pas l'accord du dirigeant de la société ; que la société S.F.R. a pu, de bonne foi, croire que la salariée de la société qui faisait cette demande avait pouvoir et mandat de le faire ; que deux factures détaillées, versées aux débats, ont été émises par S.F.R. et adressées à l'abonné ; que leur contenu n'a donc pas été divulgué à des tiers par la société S.F.R. ; que s'il y a eu divulgation, elle ne peut être, selon les écritures des appelants, que le fait de la salariée qui en avait fait la demande, dont la responsabilité n'a pas été recherchée par son employeur ;

Considérant que par conséquent, la S.A..GROUPE CMC FINANCE ne rapporte pas la preuve d'un manquement de la société S.F.R. à ses obligations contractuelles ni d'une quelconque faute commise par elle ;

Considérant qu'en tout état de cause, la S.A. GROUPE CMC FINANCE ne produit aucune pièce de nature à étayer ses allégations, selon lesquelles elle aurait perdu ses principaux clients parce qu'elle n'aurait pas veillé suffisamment à la confidentialité de ses transactions ; qu'il n'est même pas prouvé que l'ex-épouse de monsieur AAAAAA aurait contacté les clients de la société, serait-ce pour leur faire part de son infortune ; que par conséquent, la S.A. GROUPE CMC FINANCE ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de cause à effet entre l'éventuelle faute de la société S.F.R. et ses mauvais résultats financiers au cours de l'exercice 1997 ;

Considérant que la S.A. GROUPE CMC FINANCE sera déboutée de toutes ses demandes à l'encontre de la société S.F.R. ;

2) SUR LA RESPONSABILITE DELICTUELLE DE LA SOCIETE S.F.R. VIS-A-VIS DE MONSIEUR AAAAAA

Considérant que monsieur AAAAAA était, selon ses écritures, l'utilisateur du téléphone dont l'abonnement avait été souscrit pour le compte de la S.A. GROUPE CMC FINANCE ; qu'il s'agissait donc d'une prestation fournie à la société, que monsieur AAAAAA n'aurait dû utiliser que dans l'intérêt de cette dernière et non à des fins personnelles et privées dans son intérêt propre ; que par conséquent, l'envoi de la facturation détaillée à la société abonnée n'était pas normalement de nature à assurer la divulgation d'informations confidentielles le concernant ; que monsieur Claude AAAAAA n'établit pas que la liste des communications adressée par la société S.F.R. aurait révélé des éléments de sa vie privée et non pas seulement de sa vie professionnelle ; qu'il ne démontre pas que la société S.F.R. aurait commis une faute à son égard ;

Considérant qu'il résulte du jugement de divorce des époux AAAAAA en date du 3 juin 1998, que la procédure a été introduite par requête conjointe ; que la convention définitive de divorce qui lui est annexée ne fait pas ressortir un déséquilibre financier entre les ex-époux, en défaveur de monsieur AAAAAA ; qu'en tout état de cause, celui-ci ne produit aucune pièce de nature à étayer ses allégations selon lesquelles les factures détaillées auraient convaincu son épouse du comportement adultère de son mari et saccagé 18 années de mariage ; qu'à titre surabondant, il peut être souligné que si les soupçons de madame AAAAAA n'avaient pas été fondés, son mari pouvait aisément les dissiper, afin de sauver son union ; que par conséquent, monsieur AAAAAA ne démontre pas la réalité des préjudices financier et moral dont il demande réparation, pas plus que l'existence d'un lien de cause à effet entre l'envoi des factures détaillées et ces préjudices allégués ;

Considérant que monsieur AAAAAA sera débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la société S.F.R. ;

3) SUR L'AMENDE CIVILE ET L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PR 0CEDURE CIVILE

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont condamné monsieur AAAAAA à une amende civile de 762,25 euros (5.000,00 francs), son action en justice à l'encontre de la société S.F.R. étant manifestement abusive ;

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à la société S.F.R. la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, qui s'ajoutera à celle allouée par le tribunal ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant

Déboute la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA des fins de toutes leurs demandes,

Condamne in solidum la S.A. GROUPE CMC FINANCE et monsieur Claude AAAAAA à payer à la société S.F.R. la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, qui s'ajoutera à celle allouée par le tribunal,

Les condamne à tous les dépens d'appel qui seront recouvrés directement contre eux par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Arrêt prononcé par madame LE BOURSICOT, conseiller,

Assisté de madame MOREAU, greffier,

Et ont signé le présent arrêt,
Madame GUIRIMAND, président, 
Madame MOREAU, greffier.


 

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