TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

1ère Chambre A

 

[SFR a fait appel à ce jugement et a perdu son appel devant la Cour d'Appel de Versailles (RG N° 01/07363); l'arrêt de la Cour d'Appel a été prononcé le 16/05/02]

N° R.G. : 01106593
AFFAIRE
L'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS "QUE CHOISIR",
Mathieu L.,
Gwenael F.

C/

Société FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR)

JUGEMENT DU 15 Octobre 2001

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Pascal CHAUVIN, Vice-Président
Anne-Marie BROCARD-LAFFY, Juge
Pascale CHARDONNET, Juge
Catherine MARTIN, Faisant Fonction de Greffier

DEMANDEURS

L'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS "QUE CHOISIR"
dont le siège social est situé 11 Rue Guénot,
75555 PARIS CEDEX 11
Représentée par sa Présidente, Madame Marie-José NICOLI

Monsieur Mathieu L.
né le XX XXX XXXX X XXXXXXX
demeurant XXXXXXXXXXXXXXXXXX

 

Monsieur Gwenael F.
né le XX XXX XXXX X XXXXXXXXXXXX
demeurant XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

 

représentés par Maître FRANCK,
avocat au barreau de PARIS, M 1815

 

DEFENDERESSE

Société FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (S.F.R.)
Dont le siège est situé Tour Séquoia, 1 Place du Carpeaux
92915 PARIS LA DEFENSE

représentée par Maître Alexandre STYLIOS,
avocat au barreau de PARIS, J 25


DEBATS

A l'audience du 12 Septembre 2001 tenue publiquement

JUGEMENT

Contradictoire, prononcé publiquement et en premier ressort

Vu l'assignation délivrée le 20 juin 2001 à la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR), à la requête de l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR, Mathieu L. et Gwenael F., aux termes de laquelle ces derniers sollicitent que :

- soit constaté que la publicité portant sur le forfait "heures soir et weekends gratuites" est contraire à l'article L 121-1 du code de la consommation et engage la responsabilité délictuelle de la société SFR ;

- soit jugé que la société SFR a commis un agissement illicite en augmentant la redevance perçue pour ce forfait sans l'accord exprès des consommateurs cocontractants ;

- la société SFR soit condamnée à cesser cet agissement sous astreinte de 10.000F par jour de retard dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir ;

- la société SFR soit condamnée, sous astreinte, à diffuser à tous les abonnés à l'offre "heures soir et week-ends gratuites" un communiqué judiciaire destiné à permettre aux consommateurs de former une demande de remboursement des sommes indûment perçues par la société SFR ;

- un huissier soit désigné aux fins de vérifier la bonne exécution de cette mesure ;

- la société SFR soit condamnée à payer à l'UFC QUE CHOISIR la somme de 500.000 F en réparation du préjudice causé à la collectivité des consommateurs et à Messieurs L. et F. la somme de 1.000 F chacun à titre de dommages et intérêts ;

- soient allouées la somme de 30.000 F à l'association UFC QUE CHOISIR ainsi que celle de 2.000 F à chacun des deux autres demandeurs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 6 septembre 2001 par lesquelles les demandeurs réitèrent l'ensemble de leurs demandes,

Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 11 septembre 2001 par la société SFR, aux termes desquelles cette société demande au tribunal de débouter l'UFC QUE CHOISIR, Mathieu L. et GWENAEL F. de l'ensemble de leurs demandes et sollicite l'allocation d'une somme de 32.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, aux motifs que

- elle n'a jamais émis de message publicitaire trompeur au sens de l'article L 121-1 du code de la consommation,

- elle était en droit de modifier ses tarifs au cours de la période initiale d'abonnement,

- le préjudice allégué par les demandeurs n'est pas justifié.

MOTIFS DE LA DECISION

A la fin de l'année 1999, la société SFR a proposé une offre promotionnelle particulièrement attractive d'abonnement à son réseau de téléphonie mobile, sous la forme d'une souscription à un "forfait heures soir et week-ends gratuites" également dénommé "forfait SWEG".

Dans les documents publicitaires adressés par la société SFR à ses abonnés, il était indiqué que ce "forfait heures soir et week-ends gratuites"; pouvait être souscrit pendant une période limitée du ter décembre 1999 au 16 janvier 2000 et présentait les caractéristiques suivantes :

"- 2 heures utilisables 7 jours sur 7,

- tous les appels gratuits le soir (de 20 h à 8 h), le week-end et les jours fériés, sans limite et à vie*, (appels métropolitains vers tous les téléphones fixes hors numéros spéciaux et les numéros SFR),

- un Forfait de 250 F TTC/mois et la minute 7j /7 au delà à 2,50 F TTC/mn,

- le changement de Forfait gratuit en renvoyant le coupon ci-joint avant le 12/01/2000,

- la prolongation pour 18 mois de votre abonnement SFR.

*Pour toute la durée du forfait."

D'autres dépliants publicitaires destinés aux non-abonnés précisaient: "durée minimale d'abonnement 18 mois pour 250 F /mois".

Au vu de cette publicité, Gwenael F. a souscrit, le 13 janvier 2000, auprès de la société SFR un abonnement au "forfait SWEG".

Mathieu L., qui avait pour sa part souscrit, le 29 septembre 1998, un premier abonnement auprès de la société SFR, de type "2h + 2h", a demandé à le transformer le 9 janvier 2000 en "forfait SWEG".

Au mois de janvier 2000, ceux-ci ont été informés par la société SFR qu'à compter du 1er mars 2001, soit avant l'expiration de la durée minimale d'abonnement, le montant de la redevance mensuelle passerait à 270 F.

Aux termes de l'article L 121-1 du code de la consommation est trompeuse toute publicité comportant des "allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur", portant sur l'existence, la nature, les qualités substantielles, le prix ou les conditions de vente du service objet de la publicité.

L'article L 121-5 du même code précise que "l'annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée est responsable, à titre principal, de l'infraction commise."

La société SFR ne peut valablement soutenir que sa responsabilité ne saurait être engagée par les publicités émanant de son réseau de distribution alors qu'elle est le seul contractant, les distributeurs se contentant de vendre un téléphone permettant d'accéder à la prestation de communication téléphonique qu'elle propose.

En l'espèce, il est constant que la formule : "Pour 250 F TTC par mois, vous profitez de 2 heures utilisables 7 jours sur 7, et en plus, de communications gratuites, sans limite et à vie*(*pendant la durée du forfait), tous les soirs (de 20 h à 8 h) et week-ends *(*appels métropolitains vers tous les téléphones fixes)", figurant sur l'offre adressée aux anciens abonnés, pouvait légitimement laisser croire à ces derniers que le prix de l'abonnement ne connaîtrait pas de variation pendant la durée du forfait, soit pendant la durée minimale de 18 mois mentionnée sur la publicité.

Le prospectus à destination des nouveaux abonnés, versé aux débats, est encore plus explicite puisqu'il indique "durée minimale d'abonnement 18 mois pour 250 F/mois".

Aucun de ces documents publicitaires ne comporte de clause relative à la modification du prix de l'abonnement avant l'expiration du forfait.

Dès lors que la société SFR a augmenté à compter du ter mars 2000 le prix de l'abonnement, soit avant l'expiration de la durée minimale de 18 mois, il apparaît que les indications initialement données dans la publicité diffusée pour ce contrat SWEG sont mensongères.

Les précisions ultérieurement apportées par la société SFR dans ses contrats d'abonnement ne sauraient avoir pour effet de supprimer le caractère fallacieux de la publicité incriminée, qui doit s'apprécier au moment où le document est communiqué au public.

En tout état de cause, il convient de relever que l'article 12-2-4 des conditions générales, dont se prévaut la société SFR, qui autorise l'abonné à résilier son contrat à tout moment lorsque les tarifs en vigueur à la date de souscription de l'abonnement augmentent en cours d'exécution du contrat, ne figure que sur les conditions générales mises en circulation en janvier 2000, postérieurement à l'offre promotionnelle qui a débuté le ter décembre 1999, et que la société SFR ne communique pas les contrats signés par Mathieu L. et Gwenael F. faisant référence à ces conditions générales.

Il appartient en effet à la société SFR, qui prétend que la modification du prix de l'abonnement pendant la durée du forfait a été contractuellement acceptée par les défendeurs de verser aux débats lesdits contrats.

Aucun document contractuel n'a été produit concernant Gwenael F. et, s'agissant de Mathieu L., le tribunal ne dispose que d'une copie de sa demande initiale d'abonnement du 28 septembre 1998, la modification de l'abonnement ayant vraisemblablement été faite par l'envoi d'un coupon détachable joint à la publicité litigieuse, emportant prolongation de l'abonnement pour une durée de 18 mois.

II y a lieu de constater que la société SFR n'a pas respecté les engagements pris dans la publicité incriminée, qui présente un caractère trompeur, le prix étant un élément substantiel de la convention liant les parties.

II importe peu, à cet égard, que le prix du forfait SWEG reste le plus compétitif du marché avec des plages de communication illimitées et gratuites.

Le préjudice subi par les consommateurs correspond au montant indûment perçu par la société SFR pendant la durée du forfait, soit une somme de 20 francs par mois à compter du 1er mars 2000 jusqu'à l'expiration de la durée minimale de 18 mois mentionnée dans la publicité, soit 80 francs au titre de chacun des abonnements souscrits par Mathieu L. et Gwenael F..

II convient de condamner la société SFR à payer à Mathieu L. et Gwenael F., qui ont été contraints, après l'envoi de plusieurs correspondances infructueuses, d'engager la présente procédure pour faire valoir leurs droits, la somme de 200 F (30,49 euros) à titre de dommages et intérêts.

II y a lieu, pour déterminer le montant du préjudice subi par l'UFC QUE CHOISIR, qui défend l'intérêt collectif des consommateurs, de prendre en considération, le nombre d'abonnés ayant souscrit un forfait SWEG, soit environ 400.000, le montant relativement modéré des sommes indûment prélevées par la société SFR, et les frais engagés par l'UFC QUE CHOISIR pour assurer sa mission d'information et de protection des consommateurs.

Ce préjudice doit être réparé par l'allocation d'une somme de 10.000 F (1.524,49 euros) à titre de dommages et intérêts ainsi que par l'insertion d'un communiqué judiciaire qui doit être ordonnée dans les termes du dispositif ci-après.

II n'y a pas lieu de faire interdiction, à l'avenir, à la société SFR de prélever une somme supérieure à 250 francs par mois au titre de la redevance mensuelle due pour le forfait SWEG, dès lors que la période de 18 mois visée par la publicité est expirée.

L'exécution provisoire étant nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, il convient de l'ordonner.

II serait inéquitable de laisser à la charge des demandeurs les frais qu'ils ont exposés non compris dans les dépens. II y a lieu d'allouer à l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR la somme de 12.000 F (1.829,39 euros) et à chacun des deux autres demandeurs, la somme de 2.000 F (304,90 euros) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Constate que la publicité portant sur le forfait de communication téléphonique "heures soirs et week-ends gratuits" proposé par la société SFR présente un caractère mensonger ;

Condamne la société SFR à publier, dans l'un des deux numéros de La lettre Infos adressée aux abonnés qui suivront la signification du présent jugement; sous astreinte de 10.000 F (1.524,49 euros) par numéro de retard, le communiqué suivant

"La Première Chambre du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a, par jugement du 15 octobre 2001, constaté le caractère mensonger de la publicité portant sur le forfait "heures soirs et week-ends gratuites" et dit que l'augmentation de 20 francs du montant de la redevance au cours de la période minimale de souscription de 18 mois a constitué un agissement illicite."

Dit qu'il sera procédé à ladite publication en première page de cette lettre d'information, sans mention ajoutée de quelque nature qu'elle soit autre que celle relative à un appel éventuel, dans un encadré de dix centimètres de large sur huit centimètres de haut, en caractères gras de couleur noire sur fond blanc, d'une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface réservée à cet effet, sous le titre : "PUBLICATION JUDICIAIRE", en caractères gras majuscules de un centimètre de hauteur et de couleur rouge;

Condamne la société SFR à payer à

- l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR la somme de 10.000 F (1.524,49 euros) à titre de dommages et intérêts,

- Mathieu L. la somme de 200 F (30,49 euros) à titre de dommages et intérêts,

- Gwenael F. la somme de 200 F(30,49 euros) à titre de dommages et intérêts,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société SFR à payer à l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR la somme de 12.000 F(1.829,39 euros), à Mathieu L. la somme de 2.000 F (304,90 euros) et à Gwenael F. la somme de 2.000 F (304,90 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne la société SFR aux dépens.

NANTERRE, le 15 octobre 2001.

LE GREFFIER                                       LE PRESIDENT


accueil | version graphique | haut de la page | condamnation en appel