TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

1° CHAMBRE - 1° SECTION

JUGEMENT RENDU LE 20 OCTOBRE 1998

DEMANDERESSE:

- L'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS -U.F.C. QUE CHOISIR,

dont le siège est à PARIS 11ème, 11, rue Guénot,

représentée par :

Me Hermance CONSTANT, avocat - C 1530.

DEFENDERESSES :

- La Société CARREFOUR FRANCE, S.A. ,

dont le siège est à 91002 EVRY,

ZAE Saint-Huénault, B.P. 75,

représentée par

Me Brigitte SOUSTIEL, avocat - K 112

(SELAFA CLIFFORO CHANCE) .

- La SOCIETE FRANÇAISE DE RADIOTELEPHONE,

dont le siège est à 92915 PARIS LA DEFENSE -1, place Carpeaux,

représentée par :

Me Claude LAZARUS - avocat - T 410.

*

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant délibéré :

Madame TAILLANDIER, Président,

Madame CHARRUAULT, Premier Juge,

Madame VELTZ, Juge

GREFFIER,

Madame MOREAU.

DEBATS à l'audience du 15 septembre 1998, tenue publiquement,

JUGEMENT prononcé en audience publique, contradictoire, susceptible d'appel.

La Société CARREFOUR FRANCE SNC commercialise des téléphones mobiles GSM-F2 de l'opérateur SFR avec un abonnement à un service de radiotéléphonie publique.

Soutenant que les articles 9.2, 5.1, 6.2, 6.5, 12, 15, 10, 8.3, 4 et 18 du contrat proposé par la société CARREFOUR comportent des clauses abusives, l'UNION FEDERALE OES CONSOMMATEURS - UFC QUE CHOISIR, association de consommateurs agréée a, par acte du 3 janvier 1997, assigné la Société CARREFOUR FRANCE pour voir ordonner la suppression de ces clauses dans le délai d'un mois après signification du jugement, sous astreinte de 1000 francs par jour de retard et en paiement de la somme de 50000 francs à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice collectif subi par les consommateurs, et celle de 8000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par acte du 29 octobre 1997, la société CARREFOUR FRANCE a assigné la SOCIETE FRANÇAISE DE TELEPHONIE (S.F.R.) , S.A. en déclaration de jugement commun, dès lors que les clauses critiquées figurent dans le contrat proposé par CARREFOUR à ses clients en application de l'annexe 11 du contrat signé le 13 avril 1993 entre CARREFOUR FRANCE et S.F.R.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au soutien de sa demande, l'U.F.C. fait valoir que si la société CARREFOUR FRANCE a modifié certaines des clauses critiquées dans le cadre des nouveaux abonnement, les abonnements anciens sont toujours en vigueur.

Elle demande de lui donner acte qu'elle déclare satisfaisantes les nouvelles rédactions des seules clauses suivantes : article 9-2, alinéa 2, 6-5 et 18 et maintient sa demande relative aux autres dispositions, sollicitant en outre de déclarer abusives et d'annuler les autres clauses qu'elle énumère tant dans leur numérotation de 1994 que dans celles du contrat de 1996 et de celui de 1997, après avoir réintroduit dans la liste qu'elle critique l'intégralité de l'article 9-2.

Elle porte en outre ses demandes de dommages-intérêts à 250000 francs au titre de la réparation du préjudice subi par les consommateurs et à 15000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile, et demande d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans LE MONOE, LE FIGARO et LIBERATION, à concurrence de 20000 francs par insertion, ainsi que d'ordonner l'exécution provisoire.

*

La société CARREFOUR FRANCE demande de prendre acte qu'elle a modifié les clauses contractuelles litigieuses et propose désormais un nouveau contrat d'abonnement aux consommateurs, de sorte que l'action de l'U.F.C. est devenue sans objet et que la demande soit déclarée irrecevable, puisque l'article L.421-6 du Code de la consommation porte sur les contrats "habituellement proposé par des professionnels" et que les dispositions critiquées dans l'assignation concernent des abonnements proposés en 1994.

A titre subsidiaire, elle sollicite de débouter l'U.F.C. de sa demande et de la condamner à lui verser 8000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle précise que l'article L.421-6 du Code de la consommation sur lequel est fondée la demande ne permet pas à l'U.F.C. de réclamer des dommages-intérêts qui ne peuvent être alloués à une association de consommateurs à titre principal que lorsqu'elle agit sur le fondement d'une infraction pénale, ou lorsque les faits ne sont pas constitutifs d'une infraction pénale, dans le cas où elle intervient aux côtés d'un ou plusieurs consommateurs.

*

La société S.F.R. demande de constater que le contrat d'abonnement proposé par la société CARREFOUR ne contient aucune clause nulle en vertu de la législation sur les clauses abusives et de débouter l'U.F.C. de ses prétentions.

Elle sollicite en outre la condamnation de la demanderesse à lui payer 30000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile .

MOTIFS

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE

Attendu que l'article L.421-6 du Code de la consommation permet aux associations de consommateurs de demander au juge civil la suppression de clauses abusives dans les "modèles de convention habituellement proposées par les professionnels aux consommateurs"

Attendu que les contrats concernés ne peut être que ceux dont la signature est proposée aux consommateurs au jour de la saisine du Tribunal et jusqu'à la clôture de l'instruction, et non ceux qui, conclus antérieurement, restent en vigueur par application d'une clause de reconduction tacite ;

Attendu que la demande relative aux clauses du contrat d'abonnement de juin 1994, remplacé en octobre 1996 par un autre contrat, sera en conséquence déclarée irrecevable ;

Qu'en revanche, celle portant sur, les clauses identiques formulées sous une numérotation différente dans le cadre d'abonnements proposés à partir d'octobre 1996, puis à compter de février 1997, est recevable, puisque ces contrats étaient proposés à la signature des consommateurs au jour de l'assignation en date du 3 janvier 1997, puis pendant la période de l'instruction ;

Attendu que seuls demeurent critiqués les articles :

12-2 (1996) et 13-2 (1997) ; 4-1 (1996) et 4-3 (1997) ; 5-2 (1996) ; 3 in fine (1996) et 3 (1997) ; 14 (1996) et 15 (1997), 6 (dans les deux versions), 10-3 (dans les deux versions), 11 (1996) et 12 (1997) I

qui seront examinés successivement au regard des articles L.132-1 et R.132-1 du Code de la consommation ;

Article 12-2 (1996) -13-2 (1997)

Attendu que l'U.F.C. critique cet article en ce qu'il assimile à la force majeure un dysfonctionnement dû à des tiers : exploitants de réseaux ou serveurs exploités par des sociétés tierces et qu'il ne permet la résiliation de l'abonnement par l'une ou l'autre des parties que si ce dysfonctionnement dure plus de trois mois, ce sans indemnisation pour l'abonné ;

Attendu que CARREFOUR commercialise les services de l'opérateur S.F.R. lequel est raccordé à un réseau qu'exploite FRANCE TELECOM; que le contrat passé entre CARREFOUR et S.F.R. n'est pas produit ;

Attendu que le "dysfonctionnement total ou partiel résultant de perturbations ou d'interruption dans la fourniture "ou l'exploitation des moyens de télécommunication fournis par le ou les exploitants de "réseaux ou de serveurs exploités par des sociétés tierces auxquelles est (sont) connecté(s) "le(s) réseau(x) servant de support au service" ne revêt pas les caractères de la force majeure puisqu'il n’apparaît ni imprévisible ni inévitable au moment de la conclusion du contrat alors qu'il appartient au professionnel qu'est CARREFOUR de prendre les mesures requises pour éviter la réalisation de l'événement, y pallier ou réaliser son obligation par substitution ;

Attendu que reconnaître le caractère de force majeure à tout dysfonctionnement dans la fourniture ou l'exploitation des moyens de communication fournis par des tiers constituerait un déséquilibre au détriment du consommateur en permettant au professionnel de se soustraire à son obligation d'exécution

tout en privant son cocontractant de tout recours puisque le consommateur ne peut agir à l'encontre de l'opérateur et/ou de l'exploitant du réseau avec lesquels il n'a pas de lien contractuel ;

Attendu que cet article doit être supprimé, ainsi qu'il sera dit au dispositif ci-après ;

Articles E-1 (1996) & 4-3 (1997) et 5-2 (1996)

Attendu que ces dispositions précisent que la carte SIM, à microprocesseur (lequel permet à l'abonné d'accéder au service) est sous la garde de l'abonné, mais reste la propriété insaisissable de S.F.R. qui peut la remplacer à tout moment "pour quelque cause "que ce soit" (1996), "en cas de défaillance "constatée de celle-ci ou dans le cadre d'évolutions techniques ou commerciales" (1997) et imposer sa restitution aux fins de remplacement sur simple demande ou en cas de résiliation du contrat (1996) ;

Attendu que l'U.F.C. critique la faculté ainsi donnée au professionnel de modifier unilatéralement à tout moment les caractéristiques techniques de l'appareil pour changer les conditions d'accès au service, soutenant que cette modification n'apporte pas nécessairement une amélioration pour le consommateur, et peut être motivée par des raisons de politique économique interne ;

Attendu que la carte SIM ne peut être assimilée au service lui-même qui est contractuel, et consiste en la mise à disposition d'une ligne ;

Attendu que les modifications qui pourraient être apportées sur cette carte sont donc sans incidence sur le service offert au consommateur ;

Attendu que la restitution de la carte à son propriétaire en cas de résiliation de l'abonnement n'est pas critiquable ;

Attendu que la demande d'annulation de ces trois articles doit être rejetée

Articles 3 in fine (1996) et 3 (1997)

Attendu que cette disposition prévoit la modification du tarif initial à l'issue d'un délai de douze mois, après information de l'abonné un mois à l'avance ;

Attendu que l'U.F.C. soutient que la notification de ce nouveau tarif un

mois avant son entrée en vigueur est susceptible d'empêcher le consommateur de résilier

son contrat avant la date d'effet de ce nouveau tarif puisque le délai de préavis d'un mois

qu'il doit respecter pour ce faire peut expirer après l'entrée en vigueur du nouveau tarif ;

Attendu que si un décalage de quelques jours entre ces deux dates est susceptible d'entraîner le paiement au nouveau tarif pendant une période qui va précéder la date d'effet de la résiliation, il n'en résulte pas un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;

Que la demande ce chef doit être rejetée ;

Articles 14 (1996) et 15 (1997)

Attendu que cet article prévoit la résiliation du contrat par le professionnel, sans préavis ni indemnité, en cas d'inexécution de ses obligations par le consommateur ;

Attendu que l'U.F.C. soutient que le caractère automatique de la résiliation est contraire à l'article 1 f de l'annexe à l'article L.132-1 du Code de la consommation ainsi qu'aux règles applicables en matière d'inexécution contractuelle, d'une part en raison de l'absence de toute proportionnalité entre la sanction et l'inexécution qui peut être bénigne et d'autre part, faute de mise en demeure préalable ;

Attendu que l'article 1 f susvisé considère une clause de résiliation discrétionnaire comme abusive si la même faculté n'est pas reconnue au consommateur ;

Attendu que la disposition litigieuse est une clause résolutoire claire et précise puisque tout manquement du consommateur à ses obligations expressément mentionnées dans le contrat est ainsi sanctionnée ;

Qu'elle n'est donc pas discrétionnaire ;

Attendu que le bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire relève de l'appréciation de son bénéficiaire qui peut décider de ne pas s’en prévaloir, de sorte qu'un manquement bénin pourra ne pas être sanctionné par la résiliation ;

Attendu surtout, que la faculté de résiliation est ouverte au consommateur d'une part, sur le fondement de l'article 2-1 du contrat, quel qu'en soit le motif, à l'issue d'un an et, d'autre part, sur le fondement de l'article 1184 du Code Civil, en cas d'inexécution de ses obligations par la société CARREFOUR, de sorte qu'aucun déséquilibre ne peut être retenu au détriment du particulier ;

Article 6 (dans les deux versions)

Attendu que cet article laisse à la charge de l'abonné le coût de l'abonnement pendant la période qui s'étend de la mise hors service de sa ligne par suite de la déclaration de perte ou de vol qu'il a faite, et la remise d'une autre carte ;

Attendu que l'U.F.C. soutient qu'il y a là déséquilibre entre les obligations respectives des parties, puisque le paiement de l'abonnement par le consommateur n'a pas de contrepartie, alors que le délai de remise d'une nouvelle carte SIM est laissé à la discrétion du professionnel ;

Attendu que le paiement de la redevance par l'abonné pendant cette période a pour contrepartie le maintien du contrat d'abonnement et l'obtention d'une nouvelle carte SIM ;

Attendu qu'en l'absence de preuve d'un déséquilibre entre les parties la demande de ce chef doit être rejetée ;

Article 10-3 (dans les deux versions)

Attendu que cet article exonère la société CARREFOUR de toute responsabilité en cas de perturbations ou d'interruptions dans la fourniture ou l'exploitation des moyens de télécommunication fournis par le ou les exploitants des réseaux auxquels sont raccordés les installations de l'opérateur ainsi qu’en cas de survenance de tout problème quelle qu'en soit la nature ou l'importance dont "l'abonné pourrait être victime à l'occasion de l'utilisation desdits réseaux" ;

Attendu qu'une telle clause exonératoire de la responsabilité apparaît abusive d'une part en ce qu'elle laisse le consommateur démuni de recours à l'encontre du professionnel qui n'exécuterait pas ses obligations contractuelles de fourniture de service alors qu'il appartient à ce professionnel d'appeler en garantie les tiers qu'il estimerait responsables de l'inexécution, et d'autre part en raison de l'étendue de l'exonération, qui recouvre l'intégralité de la prestation objet du contrat due par le professionnel.

Attendu que cet article exonère en outre la société CARREFOUR de toute responsabilité "au titre des informations et documents communiqués à l'abonné. ..dès lors que ces informations n’ont qu'une valeur indicative et ne présentent pas de valeur contractuelle" ;

Attendu que cette disposition est abusive, car elle est source de confusion pour le seul consommateur, sur l'objet et l'étendue des prestations qui lui sont dus au moment où il contracte un abonnement ;

Attendu que cet article sera supprimé, ainsi qu'il sera dit au dispositif ci-après ;

Articles 11 (1996) et 12 (1997)

Attendu que cet article permet à l'abonné de bénéficier d'une garantie de continuité du service dans l'hypothèse visée à l'article 16 du contrat qui prévoit la résiliation de plein droit en cas d'expiration

ou de cession des droits et obligations prévus au contrats liant l'opérateur S.F.R. à la société CARREFOUR ;

Attendu que l'U.F.C. soutient que cette disposition est créatrice d'un déséquilibre car elle prévoit l'acceptation du nouveau contrat proposé par le cessionnaire à défaut de refus exprimé par écrit dans un délai de 21 jours suivant la date d'envoi ;

Attendu que cette disposition permet au consommateur de continuer à bénéficier du service sans interruption en cas de changement d'opérateur tout en lui donnant la faculté de refuser dans un délai raisonnable, le nouveau contrat présenté ;

Qu'aucun déséquilibre ne résulte donc dans l'application de cette clause ;

Attendu qu'il ne saurait être reproché à la société CARREFOUR - qui ignore s'il y aura cession, à quelle entreprise et à quel tarif - d'indiquer qu'elle s'efforcera de maintenir les conditions tarifaires antérieures pendant les vingt et un jours qui séparent la résiliation de l'ancien contrat de l'acceptation tacite du nouveau, si les conditions anciennes sont plus avantageuses pour le consommateur ;

Attendu que la demande de ce chef doit être rejetée ;

SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DE DOMMAGES INTERETS

Attendu que l'U.F.C. est investie, en vertu de la loi, de la mission de défendre les intérêts collectifs des consommateurs ;

Attendu que le caractère abusif de clauses incluses dans un contrat proposé aux consommateurs est constitutif d'un préjudice collectif dont cette association est recevable à demander réparation ;

Attendu qu'en l'espèce, le préjudice subi sera réparé par l'allocation de la somme de 50000 francs ;

SUR LA DEMANDE DE PUBLICATION

Attendu que cette demande n'apparaît pas justifiée et doit être écartée ;

SUR L'EXECUTION PROVISOIRE ET L'ARTICLE 700

Attendu que l'exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire ;

Attendu que l'équité commande de condamner la société CARREFOUR au paiement de 10000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu que la demande de dommages-intérêts formée par la société S.F.R doit être rejetée ;

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Dit l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS -UFC QUE CHOISIR recevable en

sa demande relative aux contrats d'octobre 1996 et de février 1997 ;

Ordonne la suppression des articles 12-2 et 10-3 du contrat d'octobre 1996 et celle des articles 13-2 et 10-3 de celui de février 1997, ce dans le délai d'un mois après la signification du présent jugement, sous astreinte de MILLE francs (1000) par jour de retard ;

Condamne la société CARREFOUR à payer à l'U.F.C. QUE CHOISIR la somme de CINQUANTE MILLE francs (50000) à titre de dommages-intérêts ;

Rejette les autres demandes, fins et conclusions ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Condamne la société CARREFOUR au paiement à l'U.F.C. QUE CHOISIR la somme

de DIX MILLE francs (10 000) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Condamne la société CARREFOUR aux dépens.

Fait et jugé à PARIS, le 20 octobre 1998.

LE GREFFIER

M. MOREAU

LE PRESIDENT

C. TAILLANDIER

 

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voir :

Dalloz Affaires 1999 page 860 observations V. Avena Robardet ;
Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires 1999/6, n° 729