TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

1ère Chambre A

N° R.G. : 02102204

AFFAIRE

Association UNION FEDRALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR

C/

SOCIETE BOUYGUES TELECOM

JUGEMENT DU

22 Mai 2002

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Pascal CHAUVIN, Vice-Président
Anne-Marie BROCARD-LAFFY, Juge
Pascale CHARDONNET, Juge

Catherine MARTIN, Faisant Fonction de Greffier


DEMANDERESSE

Association UNION FEDRALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR "U.F.C."
Dont le siège social est 11 Rue Guénot
75555 PARIS CEDEX 11

représentée par Me Jérome FRANCK,

avocat au barreau de PARIS, M.1815


DEFENDERESSE

SOCIETE BOUYGUES TELECOM
dont le siège social est 20 Quai du Point du jour
ARCS DE SEINE 1 à 92100 BOULOGNE-BILLANCOURT

représentée par la SCP RAMBAUD MARTEL,
avocats au barreau de PARIS, P.134

DEBATS

A l'audience du 10 Avril 2002 tenue publiquement ;

JUGEMENT

Contradictoire, prononcé publiquement et en premier ressort

 

Vu l'assignation délivrée le 25 février 2002 par l'UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR (l'UFC QUE CHOISIR) à la société BOUYGUES TELECOM dans les conditions prévues à l'article 788 du nouveau code de procédure civile et tendant à voir, au visa des articles L. 121-1, L. 421-1, L. 421-2 et L. 421-9 du code de la consommation, 1382 du code civil :

- constater que la publicité diffusée par la société BOUYGUES TELECOM et proposant de souscrire un abonnement pour un temps de communication exprimé en heures ou en minutes présente un caractère trompeur,
- ordonner en conséquence sous astreinte la cessation d'une telle publicité, - ordonner sous astreinte une mesure de publication judiciaire dans divers journaux,
- condamner la société BOUYGUES TELECOM à lui verser une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une indemnité de 3.050 euros au titre. de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Vu les conclusions signifiées le 10 avril 2002 par l'UFC QUE CHOISIR, reprenant ses demandes initiales et sollicitant en outre l'irrecevabilité, subsidiairement le rejet, de la demande reconventionnelle formée par la société BOUYGUES TELECOM ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 10 avril 2002 par la société BOUYGUES TELECOM et tendant à voir :

- débouter l'UFC QUE CHOISIR de l'ensemble de ses demandes, aux motifs que les informations pré-contractuelles en matière de facturation qu'elle diffuse à l'attention des consommateurs sont complètes et sincères, et que l'UFC QUE CHOISIR ne démontre pas que les publicités diffusées aient pu tromper ou induire en erreur le consommateur,
- condamner l'UFC QUE CHOISIR à lui verser un euro symbolique à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à la suite de la campagne médiatique trompeuse et dénigrante de l'UFC QUE CHOISIR et ordonner une mesure de publication judiciaire,
- condamner l'UFC QUE CHOISIR à lui verser une indemnité de 7.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

MOTIFS DE LA DÉCISION :

II résulte de l'article L. 121-1 du code de la consommation qu'est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, une présentation de nature à induire en erreur, lorsque celle-ci porte sur les qualités substantielles des services qui font l'objet de la publicité, sur les résultats pouvant être obtenus de leur utilisation ou sur la portée des engagements pris par l'annonceur.

En l'espèce, l'une des publicités diffusées par la société BOUYGUES TELECOM invite le consommateur à "profite[r] de 4 h de communications par mois".

Or, un tel message doit être corrigé par le fait que, "quelle que soit la communication (y compris les minutes incluses dans les Forfaits et l'heure à laquelle vous appelez), la durée prise en compte pour établir son prix est calculée par tranches de 30 secondes au-delà de la première minute indivisible", ainsi qu'il est précisé dans un paragraphe "paliers de tarifications" figurant dans les conditions générales tarifaires de la société BOUYGUES TELECOM.

L'abonné ne bénéficie donc pas nécessairement du temps de communication annoncé dans la publicité.

Compte tenu de la discordance possible entre le temps de communication réel et le temps de communication facturé, la publicité litigieuse a par conséquent été de nature à induire le consommateur en erreur.

L'arrêté du 1er février 2002 relatif aux factures des services téléphoniques prévoit d'ailleurs, en ses articles 11 et 15, qu'à partir du 1er septembre 2003, les factures comporteront le détail de la durée réelle et de la durée facturée lorsque celles-ci sont différentes.

La publicité trompeuse étant un délit instantané, il en résulte que l'existence d'informations extérieures à elle et rétablissant la réalité est sans effet sur sa matérialité.

Aussi, importe-t-il peu que le consommateur puisse prendre connaissance, sur le site Internet de la société BOUYGUES TELECOM ou dans les points de vente de la société, d'un "guide des tarifs" détaillant les prix publics pratiqués par l'opérateur de téléphonie ou qu'il puisse prendre connaissance de ce guide en ouvrant le coffret vendu par correspondance et faisant l'objet de la publicité litigieuse ou encore qu'il puisse décider de renvoyer ledit coffret sans souscrire un abonnement ou d'exercer sa faculté légale de rétractation.

En vertu des articles L.421-1, L.421-2 et L.421-9 du code de la consommation, l'UFC QUE CHOISIR est recevable à solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs, la cessation de l'agissement jugé illicite, ainsi qu'une mesure de publication judiciaire.

II n'y a pas lieu d'ordonner la cessation de l'agissement illicite, dès lors que, le 28 mars 2002, soit postérieurement à la délivrance de l'assignation, la société BOUYGUES TELECOM a modifié l'ensemble de ses publicités, ainsi qu'elle en justifie, en y ajoutant la mention "facturation par tranche de 30 secondes après la première minute indivisible".

Sur les autres demandes, il y a lieu de prendre en compte, d'une part, le nombre de consommateurs ayant souscrit un abonnement auprès de la société BOUYGUES TELECOM au cours du quatrième trimestre 2001, de l'ordre de 300.000, d'autre part, les frais nécessairement engagés par l'UFC QUE CHOISIR afin d'assurer sa mission d'information et de protection des consommateurs.

Mais il doit être également tenu compte du fait que, sans l'avoir jusqu'à présent contesté, l'UFC QUE CHOISIR a connaissance, depuis le mois de décembre 1997, du mode de facturation par paliers pratiqué par la société BOUYGUES TELECOM et, depuis le mois de novembre 2000, du décompte opéré par cette société, au-delà de la première minute indivisible, toutes les 30 secondes et non plus toutes les 15 secondes comme auparavant.

Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la société BOUYGUES TELECOM à verser à l'UFC QUE CHOISIR une somme de 3.000 euros.

II y a lieu en outre d'ordonner une mesure de publication, dans les termes figurant au dispositif.

* * * * *

La société BOUYGUES TELECOM se plaint d'avoir fait l'objet, de la part de l'UFC QUE CHOISIR, "d'une campagne médiatique trompeuse, diffusant de fausses informations". Elle précise que, depuis le mois de février 2002, l'UFC QUE CHOISIR "répand dans la presse des allégations mensongères", telles que :

- "le racket des opérateurs de téléphonie mobile" (site Internet de l'UFC QUE CHOISIR),
- "les opérateurs de téléphonie mobile vous grugent" (site Internet de l'UFC QUE CHOISIR),
- "l'exception française : à comparer le mode de facturation pratiqué en France par les trois opérateurs de téléphonie mobile avec ceux en vigueur chez nos principaux voisins, force est de constater que l'avantage n'est pas en faveur des consommateurs français" (page 17 du numéro 391 du magazine QUE CHOISIR daté du mois de mars 2002, qui a consacré au sujet des téléphones mobiles un article de six pages intitulé "temps confisqué"),
- "en Europe nous sommes les plus tondus" (déclaration de Marie-José NICOLI, présidente de l'UFC QUE CHOISIR, au quotidien LE FIGARO, édition datée du 26 mars 2002).

Elle soutient que ces allégations sont "trompeuses et, a minima, dénigrantes", invoquant à cet égard une étude comparative publiée le 7 novembre 2001 par l'OFTEL, ainsi que ses propres études internes.

Dès lors que la présente instance s'inscrit dans une campagne de presse particulièrement pugnace orchestrée par l'UFC QUE CHOISIR et illustrée par le propos de sa présidente suivant lequel "25 % à 30 % du temps facturé par les opérateurs de téléphonie mobile ne sont en réalité jamais utilisés parles abonnés. C'est une arnaque de masse !" (interview au quotidien LE FIGARO précitée), dans le dessein d'obtenir des opérateurs de téléphonie mobile une facturation à la seconde, la demande reconventionnelle formée par la société BOUYGUES TELECOM présente un lien suffisant avec les prétentions originaires.

Toutefois, il convient de rappeler que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

Or, en l'espèce, sous couvert de dénigrement, la société BOUYGUES TELECOM impute en réalité à l'UFC QUE CHOISIR des faits portant atteinte à sa considération et donc diffamatoires.

Sa demande reconventionnelle, en ce qu'elle est fondée sur l'article 1382 du code civil et non sur les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, doit en conséquence être déclarée irrecevable.

* * * * *

Au titre de l'équité, il y a lieu d'allouer à l'UFC QUE CHOISIR une indemnité de 2.300 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'exécution provisoire étant nécessaire, afin d'informer les abonnés de la société BOUYGUES TELECOM dans les meilleurs délais, et compatible avec la nature de l'affaire, il y a lieu de l'ordonner.

PAR CES MOTIFS :

Dit que la publicité diffusée en matière de téléphonie mobile par la société BOUYGUES TELECOM et invitant le consommateur à souscrire un abonnement à un forfait sans spécifier que la facturation est opérée par tranche de 30 secondes après la première minute indivisible a constitué une publicité de nature à induire le consommateur en erreur,

Condamne la société BOUYGUES TELECOM à verser à l'UFC QUE CHOISIR la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs,

Ordonne la publication du texte suivant, dans deux journaux ou magazines au choix de l'UFC QUE CHOISIR, aux frais de la société BOUYGUES TELECOM et dans la limite de 4.500 euros par insertion

"La Première Chambre du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a, par jugement du 22 mai 2002, dit que la publicité diffusée en matière de téléphonie mobile par la société BOUYGUES TELECOM et invitant le consommateur à souscrire un abonnement à un forfait sans spécifier que la facturation est opérée par tranche de 30 secondes après la première minute indivisible a constitué une publicité de nature à induire le consommateur en erreur",

Déclare irrecevable la demande reconventionnelle formée par la société BOUYGUES TELECOM sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

Condamne la société BOUYGUES TELECOM à verser à l'UFC QUE CHOISIR une indemnité de 2.300 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société BOUYGUES TELECOM aux dépens.

NANTERRE, le 22 mai 2002.

LE GREFFIER                                      LE PRÉSIDENT
      (signé)                                                       (signé)

 

accueil | version graphique